Damilaville fut l’ami et correspondant de
Voltaire et de Diderot. A ce titre, il rédigea certains articles de l’Encyclopédie. Ce qui frappe dans
l’article « Paix » qui décrit, en réalité, presque exclusivement la guerre,
c’est la violence des critiques contre ce « carnage inutile » résultant des «
passions aveugles » des princes.
1.1:
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La guerre est un fruit
de la dépravation des hommes ; c'est une maladie convulsive et violente du
corps politique ; il n'est en santé, c'est-à-dire dans son état naturel, que
lorsqu'il jouit de la paix ; c'est elle qui donne de la vigueur[1]
aux empires ; elle maintient l'ordre parmi les citoyens ; elle laisse aux
lois la force qui leur est nécessaire ; elle favorise la population,
l'agriculture et le commerce ; en un mot, elle procure au peuple le bonheur
qui est le but de toute société. La guerre, au contraire, dépeuple les Etats
; elle y fait régner le désordre ; les lois sont forcées de se taire à la vue
de la licence qu'elle introduit ; elle rend incertaines la liberté et la
propriété des citoyens ; elle trouble et fait négliger le commerce ; les
terres deviennent incultes et abandonnées. Jamais les triomphes les plus
éclatants ne peuvent dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses
membres que la guerre sacrifie. Ses victimes mêmes lui font des plaies
profondes que la paix seule peut guérir.
Si la raison gouvernait les hommes, si elle
avait sur les chefs des nations l'empire qui lui est dû, on ne les verrait
point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre. Ils ne marqueraient
point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. Attentifs à
conserver une tranquillité de qui dépend leur bonheur, ils ne saisiraient
point toutes les occasions de troubler celle des autres. Satisfaits des biens
que la nature a distribués à tous ses enfants, ils ne regarderaient point
avec envie ceux qu'elle a accordés à d'autres peuples ; les souverains sentiraient
que des conquêtes payées du sang de leurs sujets ne valent jamais le prix
qu'elles ont coûté. Mais, par une fatalité déplorable, les nations vivent
entre elles dans une défiance réciproque ; perpétuellement occupés à
repousser les entreprises injustes des autres ou à en former elles-mêmes, les
prétextes les plus frivoles leur mettent les armes à la main. Et l'on
croirait qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages que
la Providence ou l'industrie[2]
leur ont procurés. Les passions aveugles des princes les portent à étendre
les bornes de leurs Etats ; peu occupés du bien de leurs sujets, ils ne
cherchent qu'à grossir le nombre des hommes qu'ils rendent malheureux. Ces
passions, allumées ou entretenues par des ministres ambitieux ou par des
guerriers dont la profession est incompatible avec le repos, ont eu, dans
tous les âges, les effets les plus funestes pour l'humanité. L'histoire ne
nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et
cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L'épuisement
seul semble forcer les princes à la paix ; ils s'aperçoivent toujours
trop tard que le sang du citoyen s'est mêlé à celui de l'ennemi ; ce carnage
inutile n'a servi qu'à cimenter l'édifice chimérique de la gloire du
conquérant et de ses guerriers turbulents ; le bonheur de ses peuples est la
première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses
courtisans.
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